Comme promis à la fin de L’art de l’esquive (que vous n’êtes pas obligés de lire si vous débarquez à l’improviste mais il place tout de même le contexte très personnel sur lequel je me base pour écrire tout ceci) je vous balance ce billet sur le suicide. Juste pour gueuler sur une petite phrase toute bête que j’ai croisé tellement de fois qu’elle finit par me hérisser le poil dans le mauvais sens à la sauce super sayan :
« De toute façon, se suicider, c’est lâche et égoïste. »
NON.
Bon, je vais peut-être développer un peu (et parler de manière subjective car je ne saurais m’exprimer à la place de tous).
La tentative de suicide est un passage à l’acte psychologiquement violent, la voir comme un acte de facilité et culpabiliser son auteur c’est nier en bloc toutes les raisons qui l’ont poussé à commettre son geste, et donc mettre une entrave très agressive à sa compréhension. Étant passé par là, je ne peux pas m’empêcher de bondir chaque fois que je lis ce genre de banalités qui sont (probablement de manière non-intentionnelle) d’une insensibilité notoire.
Ce qui est d’ailleurs paradoxal et je suis assez enclin à l’admettre, c’est qu’effectivement au long de ma joyeuse vie de phobique social, j’ai toujours vu le suicide comme une porte de sortie, comme la dernière carte à jouer au cas où ça deviendrait trop dur. (J’ai d’ailleurs toujours cette manie). C’est une idée réconfortante, de se dire que « au pire des pires, y a toujours la grande esquive à envisager », on se donne l’illusion d’avoir plus de choix et ça permets d’adoucir l’angoisse. C’est peut être ce qui encourage d’ailleurs les gens à dire que c’est un acte lâche et égoïste, car quand on y pense de loin, comme ça, vite fait, ça y ressemble.
Les choses sont nettement moins faciles à définir lorsqu’on l’on est au pied du mur et chargé de détresse.
Après 25 années de phobie sociale et avoir foiré ma 3ème reprise d’étude à cause de cette pathologie, sans aucune idée de ce que j’allais faire de mon avenir inexistant, sans avoir qui que ce soit autour de moi qui comprenne mon problème, j’étais au fond du trou et il a « suffit » d’une rupture très douloureuse pour achever un travail très bien entamé. Je me suis retrouvé ce soir là avec posés sur mon bureau une 50aine de comprimés que je m’apprêtais à avaler par grandes poignées. Pendant une bonne demi-heure je suis resté là, à les regarder.
Être égoïste, ne penser qu’à soi, je ne l’ai pas fait beaucoup durant ces longues minutes. J’ai beaucoup pensé aux autres. A ma famille, à mes (quelques amis). A la peine qu’ils auraient bien sûr, mais aussi surtout à la peine que je leur causais en étant vivant, à l’inquiétude et la déception que je provoquais sans cesse, avec mon incapacité à évoluer dans la vie, à me prendre en main, à vivre tout simplement. Peu à peu, je me suis convaincu que j’étais un problème pour eux, et que si je disparaissais ce serait difficile sur le moment, mais également un soulagement pour tous, à long terme pour eux comme à court terme pour moi. L’usure mentale des années de phobie sociale et la douleur très vive de la déception amoureuse agissaient comme des catalyseurs pour enjoindre ma raison à accepter cette vision biaisée et déformée des choses. Au pied du mur, la motivation n’est pas égoïste. Au pied du mur, on a l’impression que l’on va à la fois se délivrer de sa souffrance mais aussi délivrer les autres du fardeau que l’on est pour eux.
Être lâche , se défiler, une fois que l’on a perdu la bataille et que l’on voit le passage à l’acte comme une solution, ce serait de ne pas se tuer. On ne voit plus le geste que l’on va faire comme une esquive, mais comme une action, qui demande un courage et une volonté forte. Et quand vous avez dans la main une poignée de comprimés à porter à votre bouche, le geste pèse lourd, la peur est écrasante. Il m’a fallu 10 minutes pour perdre la bataille de la raison, il m’en auras fallu 20 supplémentaires pour gagner celle contre la peur. Je ne peux pas parler au nom de tous les gens qui ont fait des tentatives de suicides dans leur vie, mais je doute que beaucoup d’entre eux définissent sur le moment leur geste comme lâche, ou faible.
On peut bien sûr a posteriori et avec le recul juger de manière très différente son geste, mais les gens qui assènent ces petites phrases assassines sur l’égoïsme et la lâcheté, on sent bien quelque part que c’est une condescendance, qu’ils pensent bien trop aux autres et sont bien trop courageux pour avoir ce genre d’idées saugrenues. Comme si eux étaient immunisés contre l’usure mentale et la détresse, que ça n’arrive qu’aux autres, les faibles.
Et pourtant c’est bien de penser aux autres et avoir du courage qui m’ont aidé à avaler trois énormes poignées de médicaments, puis me retrouver à l’hôpital à la limite de l’arrêt cardiaque.
Faire passer le suicide comme un acte de faiblesse, c’est contribuer à oublier qu’il s’agit avant tout d’un acte de détresse et qu’on peut tous y être confrontés un jour ou l’autre. Tachez de ne pas l’oublier avant de juger les autres.