Lors de déambulations hasardeuses sur internet, je suis tombé sur un forum où des hommes demandaient s’il existait un traitement ou des médicaments qui faisaient drastiquement baisser voire supprimaient leur libido (certains demandaient carrément s’il était possible de demander une castration chimique volontaire). Je m’attendais assez naïvement à lire des réponses positives et des conseils sur tel ou tel médicament (puisque l’on crée des « traitements » pour augmenter la libido des femmes -vaste débat déjà-, que l’on a inventé le viagra pour pallier à l’impuissance masculine et prolonger dans le temps sa capacité à pratiquer le sexe, j’ai osé penser que la réciproque dans l’autre sens était envisageable).
Au cas où je précise d’avance, loin de moi l’idée d’entretenir le cliché de « l’homme qui a toujours envie et la femme jamais » je me concentre simplement sur ces personnes qui – dans un système privilégiant grandement l’inverse – souhaitent voir leurs envies diminuer.
Les raisons de leurs demandes étaient pour moi indiscutables. Un bosseur célibataire endurci qui veut consacrer sa vie et son temps à son travail et qui n’envisage ni de se mettre en couple avant une longue période et qui n’a aucun intérêt pour les relations d’un soir, un mari aux désirs fréquents qui souhaite tout simplement s’adapter aux désirs moins fréquent de sa femme sans ressentir de frustration nocive, un retraité marié qui n’a plus de vie sexuelle et qui souhaite être libéré de toute pression…
A la lecture de ces témoignages, en dehors du « Je souhaite être libéré de la frustration » finalement se dégage souvent une deuxième mécanique plutôt louable « Je ne souhaite pas voir ma femme / les femmes comme un / des objet(s) qui servent à assouvir mon désir lorsqu’il est à sens unique ». Dans un monde où tout est là pour déculpabiliser les hommes de forcer la main aux femmes, ou la sexualité à tout prix est louée comme un Dieu universel, j’ai franchement eu un sourire de sympathie pour ces personnes qui ont avoué d’une part l’impériosité de leur désir (je vais y revenir) et d’une autre la sincère intention inébranlable de respecter leur partenaire et leur engagement. Bien entendu attention, il n’est pas non plus question de canoniser ces personnes et d’en faire des saints qui se sacrifient pour autrui. La démarche est avant tout personnelle et bénéficie surtout et en premier lieu à eux mêmes (on pourrait prendre comme exemple le célibataire). C’est leur souffrance qu’ils souhaitent éliminer, et ce respect n’en est qu’une motivation éventuelle, mais si ils en viennent à poser cette question, c’est qu’il est déjà hors de question de forcer la main de qui que ce soit, ou de manière générale que toute alternative oppressive est tout simplement exclue. (Chose qui dans un monde idéal ne devrait pas être félicitée mais acquise, mais le monde idéal on en est loin non ?).
Je vais m’arrêter quelques instants sur la frustration et la souffrance qu’elle génère, pour de multiples raisons. D’une part car tout le monde ne l’expérimente pas forcément (comme je le répète souvent, il y a autant de ressentis que d’individus, et les tendances ne devraient pas devenir normes), et d’autre part parce qu’elle a BEAUCOUP TROP SERVIE pour JUSTIFIER des TAS et des TAS de CONNERIES, à un tel point que parfois, elle est niée en bloc comme si elle n’était qu’une mauvaise excuse de connard, donc j’aimerais être assez précis sur ce point pour ne pas être mal compris.
Je vais pas faire tout le panel existant de possibilité d’expérimenter sa sexualité ou non-sexualité (je suis pas vraiment compétent pour en parler) mais oui, pour certaines personnes (je dis bien PERSONNES, pas hommes, vous ne m’entendrez pas dire « les hommes ont des besoins », bullshit, vade retro satanas) la libido est quelque chose d’impérieux, quand une envie se présente, quand un désir pointe le bout de son nez, (même d’origine totalement affective), il exerce une pression, il reste et il envoie des signaux psychologiques et corporels négatifs de rétorsion tout le long de sa non-satisfaction (je n’aime pas faire de parallèle avec la faim, mais c’est en somme une analogie plutôt correcte en terme de ressenti physique & mental, et qui s’arrête là car il ne s’agit pas ici de « consommer un objet » et cette comparaison aurait tendance à faciliter un amalgame déjà bien trop encouragé). C’est quelque chose que j’expérimente personnellement, c’est pour moi un fait avéré MAIS ça n’a jamais servi d’excuse à quoi que ce soit tout au long de ma vie, mes partenaires n’ont jamais été des cheeseburgers que je m’empresse de tenter de consommer sans me poser de question dès que j’ai une petite fringale.
Lorsque l’on vit sa libido de cette manière, la frustration est quelque chose que l’on doit gérer, qui tente de s’insinuer dans nos schémas de pensée pour nous faire croire qu’il est normal d’éprouver de la rancune envers la personne qui ne donne pas satisfaction, qu’il est légitime de se sentir rejeté et humilié par la non-réciprocité du désir, ou qu’il est normal d’en être blessé affectivement… bref, le mental va jouer toutes les cartes possibles pour tenter de A) justifier tout et n’importe quoi si vous êtes un gros connard ou B) vous rendre simplement malheureux si vous ne l’êtes pas. (Et la société, haha, elle est pas là pour vous décourager de le faire ou de l’être. Non, on vous présente les femmes comme des objets de consommation mais aussi comme des grognasses qui de toute façon n’ont jamais envie et sont tellement compliquées -d’ailleurs y’a des pilules pour régler ça *clin d’œil*-, on vous fait comprendre que les mecs qui ne baisent pas sont des losers, qu’il faut trouver des astuces pour « pimenter » sa vie de couple… et nianianiania vous connaissez le refrain hein ?) Il faut donc se faire un minimum violence pour ne pas se laisser avoir par ce mécanisme mental (et toutes les injonctions le légitimant), tout simplement prendre sur soi.
Quand je dis prendre sur soi, dans mon cas, c’est juste pour ne pas en souffrir. Si je prends pas sur moi ça veut pas dire que je vais avoir envie de forcer la main de ma compagne, ou de lui en vouloir, ou de la tromper, mettons nous bien d’accord là dessus. IL EST FUCKING HORS DE QUESTION de faire du tort, et il n’y a AUCUNE EXCUSE à le faire. Ça veut juste dire que ça va me faire du mal, générer de la souffrance, pour pas grand chose et c’est foutrement con, convenons en.
Tout ça pour dire quoi ? Tout ça pour dire que ces personnes qui demandent une pilule miracle pour avoir moins / plus du tout de libido, je les comprends. Je les comprends même très bien. J’ai la chance dans mon couple actuel d’avoir une partenaire avec qui j’ai une très grande complicité et une vie sexuelle épanouie, mais ça n’a pas toujours été le cas. Lors d’une relation précédente où ma libido était très très très (très très) largement supérieure à celle de ma partenaire, gérer tout ça était quelque chose d’usant. Je dis pas que c’était atroce ou ingérable ou [insérer ici du ouin ouin], non, mais je vivais mon désir comme un poids, un boulet à trainer qui ne m’apportait rien de bon et il était hors de question que ce soit ma partenaire qui en paye le prix. Alors oui effectivement, si il avait existé un médicament dédié à faire baisser ma libido, je l’aurais pris avec joie, pour faciliter cette gestion, pour passer moins de temps à « prendre sur moi » et le faire plus efficacement. Car dans une relation, la sexualité ne fait pas tout, car si je vis mon désir comme une pression parfois il n’est pas question que je la répercute sur la personne que j’aime et qu’à son tour cette personne vive MON désir comme une pression, car les injonctions à la sexualité forcée et à la satisfaction de monsieur sous peine de rétorsions sont déjà largement assez présentes partout et que d’aucune manière il est admissible que j’en ajoute ne serait ce qu’une once sur la personne que j’aime et que je respecte, car il est absolument inimaginable que je trompe ou quitte cette personne à ce motif… Bref pour en revenir à mon discours du début, si il existe du viagra, si la pilule pour la libido féminine va être mise sur le marché, il n’y pas de raison qu’un anti-libido ne le soit pas. Il n’y pas de raison que l’on ne fournisse pas à cette demande une réponse, car je ne vois rien de malsain que ça puisse engendrer, bien au contraire.
Évidemment petit bonus, qu’à t-on répondu à ces gens ? (Car c’est effectivement ça qui m’a fait bondir et donné envie d’écrire un billet là dessus malgré ma légendaire flemme rédactrice)
Et bien *pas trop de suspens là dessus* CE GENRE DE CONNERIES
« Voilà voilà. C’est inhumain. Oui oui. Et puis c’est de sa faute si elle veut rester avec elle a qu’à accepter qu’il aille (mais discrètement c’est mieux hein) voir d’autres filles ou des prostituées. Ça c’est pas inhumain ça c’est normal oui oui. » -_-
Bref en gros y a toute la série suivante (pas que heureusement) :
« Paye toi une pute » « Si t’es pas heureux quitte là » « C’est de la mutilation » « La castration chimique c’est pour les pédophiles » « Prends toi une maitresse » « Sors un peu » « trouve toi quelqu’un d’autre » « vous êtes que des porcs de toute façon » « tu devrais pas souffrir de ça »
Là je dis MAIS PUTAIN DE BORDEL DE NOUILLE A QUEUE, c’est quand même pas croyable. Les mecs expriment une souffrance et demandent une alternative, une aide, autre que celle d’être un parfait trou du cul parce que pour eux c’est pas envisageable, et on leur réponds soit « Mais siiii, soit un trou du cul. C’est normal d’être un trou du cul. » ou alors « Mais non tu souffres pas ». Ca me fait tout bonnement halluciner. Pour une fois que des gars demandent à ce que la différence ou l’absence de désir ne se fasse pas au détriment d’eux même et surtout d’autrui, qu’ils ne veulent pas se comporter en abrutis, laissez les poser leur putain de question et si vous n’avez pas une réponse constructive fermez vos putains de gueules. C’est ceux qui font chier leurs femmes du matin au soir pour avoir un peu de cul et qui vont leur dire « Tiens y a la nouvelle pilule là pour que t’aies un peu plus envie de piner » qui viennent baver que prendre une pilule pour faire baisser la libido c’est inhumain et c’est de la mutilation, c’est ceux qui en ont rien à battre de tromper, ou de forcer leur nana qui viennent traiter de monstres ceux à qui ça n’a jamais traversé l’esprit. Non mais ARGH BORDEL arrêtez moi je vais commettre un meurtre !!!
*Quelques coups de poing dans le mur et une tasse de thé plus tard*
Enfin bref. Je voulais exprimer ma sympathie pour cette poignée de personnes dont j’ai lu les témoignages, et mon « allez vous faire foutre » le plus cordial à ceux qui viennent piétiner leur demande avec leur sabots d’égoïstes répugnants. Et surtout tant qu’à faire réitérer la question. Vous, si vous étiez dans une situation comme celle là, souhaiteriez vous prendre une médication ? Y en a t-il une en accès libre ? – Je n’ai personnellement pas trouvé, donc le cas échéant, pensez vous qu’il serait normal qu’elle existe ?- Ne trouvez vous pas que cette alternative mérite au minimum d’être discutée de manière constructive au vu des avantages évident qu’elle possède ? Ne serait ce pas un encouragement à résister aux injections stupides en matière de frustration ? A faciliter le travail sur soi ?
(Si vous voulez en savoir plus sur les dommages que peuvent faire la pression sociale & personnelle au sexe sur une personne et sur les femmes en général, puis d’ailleurs même si vous voulez pas, LISEZ CECI, C’EST UN ORDRE ! http://une-sourde.over-blog.com/2014/01/je-me-pensais-asexuelle.-les-cons%C3%A9quences-de-la-pression-sociale-sur-la-libido-et-autres-r%C3%A9flexions.html )